Revirement quant à l’utilisation d’une preuve illicite dans le procès prud’homal ?
Revirement quant à l’utilisation d’une preuve illicite dans le procès prud’homal ?
« Maître, j’ai enregistré mon employeur à son insu ? Je sais, je n’ai pas le droit », « Maître, j’ai la preuve que le salarié ment. Regardez les messages que j’ai trouvés dans son compte Messenger » !
En matière prud’homale, la preuve est libre.
Mais cela signifie-t-il que toute preuve est admise ?
En 2011, la Cour de cassation a posé le principe de loyauté de la preuve et d’irrecevabilité d’une preuve illicite.
Une preuve est jugée illicite lorsqu’elle est obtenue de manière déloyale, dans des conditions portant atteinte à la vie privée de la personne ou ne respectant pas les règles posées à l’article L.1222-4 du Code du travail « Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance ».
Puis, dans plusieurs arrêts rendus en 2023, la Cour de cassation a jugé que « l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats » (Cass. Soc. 8 mars 2023 n°21-17.802 vidéosurveillance, Cass. Soc. 4 octobre 2023 n°22-18.217 messages et de photographies extraites d’un compte Messenger personnel, Cass. Soc. 20 décembre 2023 n°21-20.904 documents portant atteinte au secret médical).
En application de ces arrêts, pour être admis, un tel moyen de preuve doit respecter certaines conditions :
1) La production de la preuve illicite doit être indispensable à l’exercice des droits,
2) La production de la preuve illicite doit être proportionnée au but poursuivi,
3) Cette preuve doit être corroborée par d’autres éléments probants.
Saisie de deux affaires dans lesquelles était soulevé le principe de recevabilité d’une preuve illicite, la Cour de cassation s’est réunie en Assemblée plénière le 24 novembre 2023 afin de débattre de deux questions :
Première question : un enregistrement sonore réalisé à l’insu d’un salarié, faisant état de propos ayant conduit à son licenciement, constitue-t-il une preuve valable ?
Deuxième question : un message électronique envoyé sur Facebook (il s’agissait de propos discriminatoires tenus par le propriétaire du compte à l’encontre d’un autre salarié), à l’origine d’un licenciement, mais dont la production porte atteinte à la vie privée de son auteur, constitue-t-il une preuve valable devant le juge ?
Dans ces deux affaires, les salariés avaient été licenciés pour faute grave sur la base de ces seules preuves obtenues de manière déloyale. Les deux Cours d’appel saisies ont déclaré ces preuves déloyales et donc irrecevables et ont jugé que le licenciement était en conséquence dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La Cour de cassation a rendu sa décision dans ces deux affaires le 22 décembre 2023.
Par un premier arrêt (RG n°20-20.648), la Cour de cassation a censuré les juges d’appel en reprenant le raisonnement adopté dans les décisions rendues en 2023. Elle a ainsi précisé que « l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».
Si la Cour de cassation opère effectivement un revirement par rapport au principe qu’elle a posé en 2011 quant à l’irrecevabilité d’une preuve déloyale, elle entérine finalement les dernières décisions rendues en matière d’usage d’une preuve illicite.
Par un second arrêt (RG n°21-11.330), la Cour de cassation ne se prononce pas sur ce sujet mais rappelle qu’il n’est pas possible de licencier disciplinairement un salarié pour un motif en lien avec sa vie personnelle si celui-ci ne constitue pas un manquement à ses obligations professionnelles.
En l’occurrence, les propos tenus par le salarié licencié dans le cadre d’une conversation privée sur son compte Facebook personnel ne constituaient pas, pour la Cour de cassation, un manquement à ses obligations contractuelles.
Dans l’affaire du 4 octobre 2023 précitée, la Cour de cassation avait validé le licenciement fondé sur des messages et photographies extraits du compte Facebook de la salariée car ils révélaient un manquement à ses obligations contractuelles (introduction et consommation d’alcool et soirées organisées au temps et sur le lieu de travail).
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