Le préjudice automatique en droit du travail : le casse-tête pour les employeurs ?
Le droit du travail réserve parfois des surprises aux employeurs, et la notion de préjudice automatique en est une parfaite illustration.
En effet, dans certaines situations, un salarié peut obtenir une indemnité sans avoir besoin de prouver un quelconque dommage. Autant dire que cela peut rapidement devenir un vrai casse-tête juridique et financier !
Comment fonctionne ce mécanisme ? Dans quels cas la jurisprudence reconnaît-elle ou rejette-t-elle ce préjudice ? Et surtout, quelles bonnes pratiques adopter pour limiter les risques ?
I – Qu’est-ce que le préjudice automatique ?
Un préjudice qui n’est pas à prouver
Le préjudice automatique, également appelé préjudice nécessaire, est un concept selon lequel la seule violation d’un droit du salarié ouvre droit à réparation, sans que ce dernier n’ait à démontrer un préjudice concret.
Autrement dit, le simple fait qu’un employeur ne respecte pas une obligation suffit à donner droit à une indemnité pour le salarié.
Cette notion s’oppose au préjudice tel qu’il est entendu classiquement en droit commun. En effet, en principe pour obtenir la réparation d’un préjudice il faut démontrer 1) une faute, 2) un préjudice et 3) un lien de causalité entre la faute et le préjudice.
entre reconnaissance et rejet du préjudice automatique
Cette notion de préjudice automatique peut être un véritable chèque en blanc pour certains salariés.
Mais en pratique, cela n’est pas si simple car la Cour de cassation a une position fluctuante sur le sujet. Si les juges ont parfois validé la notion de préjudice automatique, elle n’est pas systématiquement reconnue. Il est arrivé que la Cour de cassation opère adopte deux positions différentes pour des demandes similaires.
Voici quelques décisions récentes qui illustrent cette oscillation jurisprudentielle.
II – Affaires dans lesquelles le préjudice automatique a été reconnu
Non-respect du temps de pause
Dans un arrêt du 4 septembre 2024 (Cass. Soc., 4 septembre 2024, n°23-15.944), la Cour de cassation a jugé que la salariée qui n’avait pas bénéficié de son temps de pause pouvait obtenir une indemnisation sans avoir à démontrer l’existence d’un préjudice.
La seule constatation du manquement de l’employeur, qui n’a pas fait bénéficier la salariée de ses temps de pause, suffit à causer un préjudice indemnisable à la salariée.
Interdiction de faire travailler un salarié pendant son arrêt maladie ou son conge maternité
Dans deux arrêts du 4 septembre 2024 (Cass. Soc., 4 septembre 2024, n°23-15.944, Cass. Soc. 4 septembre 2024 n°22-16.122), la Cour de cassation a jugé que les salariés qui avaient travaillé pendant un arrêt maladie, pour l’un, et pendant un congé maternité, pour l’autre, pouvaient obtenir une indemnisation sans avoir à démontrer leur préjudice.
Là encore, la seule constatation du manquement de l’employeur qui a fait travailler ces salariés suffit à caractériser un préjudice indemnisable du salarié.
Non-respect des durées maximales de travail
Dans un autre arrêt du 18 septembre 2024 (Cass. Soc. 18 septembre 2024 n°23-10.080), la Cour de cassation a de nouveau confirmé que « le seul constat du non-respect des dispositions relatives aux durées maximales de travail ouvre droit à la réparation, la cour d’appel a violé les textes susvisés« .
Reste que même dans ces situations, reconnaissant l’existence d’un préjudice automatique, le salarié devra convaincre les juges du montant de son préjudice. En effet, si l’indemnisation est automatique, le montant de cette indemnisation ne l’est pas toujours et reste soumis à la libre appréciation des juges.
II – Affaires dans lesquelles le préjudice automatique a été écarté
À l’inverse, d’autres décisions récentes ont confirmé que le salarié devait prouver un préjudice distinct pour obtenir une indemnité :
- Congés payés non pris (Cass. Soc., 11 mars 2025, n°23-16.415) : Une salariée affirmait que l’impossibilité de prendre ses congés constituait une violation de l’obligation de sécurité de l’employeur. La Cour a rejeté cette argumentation et exigé la preuve d’un préjudice distinct,
- Forfait jours annulé ou dépourvu d’effet (Cass. Soc., 11 mars 2025, n°24-10.452 et n°23-19.669) : La simple nullité d’une convention de forfait jours ou son inopposabilité ne suffisait pas à justifier une indemnité sans preuve d’un préjudice concret (ex. charge de travail excessive),
- Absence de suivi médical renforcé (Cass. Soc., 11 mars 2025, n°21-23.557) : Le fait qu’un salarié de nuit n’ait pas eu de suivi médical renforcé ne suffisait pas à justifier une indemnité. Il devait prouver un préjudice distinct.
Notons que la Cour de cassation semble faire plus facilement application du principe de préjudice automatique dans les affaires dans lesquelles il est question de durée du travail ou de respect des règles relatives au repos.
Ainsi, il est envisageable de penser que dans les affaires susmentionnées dans lesquelles la Cour a écarté le préjudice nécessaire, la solution aurait été différente si le salarié avait faire valoir une surcharge importante du travail ayant conduit à un non-respect des durées du travail et des règles relatives au repos quotidien et hebdomadaire.
III – Quels risques pour les employeurs et quelles précautions prendre ?
Cette insécurité juridique est une véritable épée de Damoclès pour les employeurs. Pourquoi ?
- Difficulté à anticiper le coût des contentieux : Certaines indemnisations sont encadrées (ex. 1 mois de salaire pour irrégularité de la procédure de licenciement), mais d’autres sont laissées à l’appréciation des juges. La facture peut donc être très salée !
- Hausse du risque contentieux : La tentation est grande pour certains salariés d’invoquer plusieurs manquements leur causant plusieurs préjudices automatiques pour obtenir un cumul d’indemnités,
- Complexité juridique croissante : avec une jurisprudence instable, les employeurs doivent redoubler de vigilance pour rester en conformité.
Bonne nouvelle : il est possible de réduire les risques en adoptant une approche proactive et rigoureuse. Voici quelques conseils clés :
- Respecter scrupuleusement les obligations légales : Une évidence ? Pas tant que ça ! Un retard dans la remise des documents de fin de contrat ou un oubli dans la formation des salariés peuvent coûter cher,
- Anticiper les contentieux : Conservez des preuves documentées de toutes vos obligations respectées (contrats, formation, demander à vos salariés de ne pas faire d’heures supplémentaires ou de ne pas travailler durant les arrêts de travail, etc.). Mieux vaut prévenir que payer !
- Sensibiliser les équipes afin d’éviter une erreur involontaire qui peut vite devenir un litige coûteux,
- Se faire accompagner par un conseil juridique afin de rester à jour et pouvoir adapter la pratique RH.
Le préjudice automatique est une réalité juridique que les employeurs ne peuvent ignorer. Face à une jurisprudence fluctuante, il est crucial d’anticiper les risques pour éviter des coûts imprévus.
Crédit photo @Pavel Danilyuk via canva.com

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